Table des matières
Le choix de l’autonomie comme “fil rouge”
Nous entendons par autonomie la définition “classique” à savoir “le droit de chaque personne à disposer d’elle-même”. Cette notion est bien plus battue en brèche qu’elle n’y parait. Personne de nos jours n’oserait se déclarer opposé à l’autonomie. C’est peut-être parce que le mot autonomie, peut se lire de manières très différentes.
Pour certains, » l’apprentissage de l’autonomie » consiste à apprendre à l’enfant à faire “seul” ce que l’on veut qu’il fasse : «Je t’apprends à mettre tes chaussures pour que tu puisses sortir jouer dehors lorsque je le voudrai».
À la Maison des enfants nous accompagnons l’enfant à faire ce qu’il a choisi de faire : «Si tu as besoin de mettre tes chaussures parce que tu veux aller jouer dehors, je peux t’apporter mon aide».
Le choix de l’école du troisième type
Nous avons emprunté ce terme à Bernard Collot. En résumé, il classe les écoles en trois types.
« On pourrait considérer que l’école, avec ses niveaux les plus homogènes possibles, ses rangées d’élèves, avec un maître maîtrisant emploi du temps et progressions des notions à faire acquérir, progression des “exercices” destinés à faire acquérir ces notions, avec des élèves exécutant le plus exactement possible des consignes pour obtenir des résultats parfaitement prévus, on pourrait considérer que cette école était celle du 1er type.
L’école du second type serait celle de l’école des méthodes dites actives. Les élèves y sont moins passifs, le maître fait appel à leur motivation, au jeu, cherche par tous les moyens à rattacher son enseignement à la réalité. Les emplois du temps y sont plus souples, la progression des notions à faire acquérir devient moins linéaire ou plus relative. On parle de plus en plus de “compétences transversales”. Mais, l’enseignant reste l’ordonnateur de la classe, le distributeur des activités. C’est lui le véritable acteur.
Les objectifs qui motivent ou permettent l’activité sont les siens, c’est-à-dire ceux de l’institution. Les évaluations vérifient si les objectifs de l’institution sont atteints de façon collective. L’arrière-pensée de l’activité reste toujours celle d’objectifs qui n’appartiennent pas aux enfants.
Dans l’école de 3ème type, c’est la présence des enfants dans un groupe et dans un environnement réel qui entraîne les processus d’apprentissages et la construction des langages. Ce n’est plus l’enseignant qui, par un savoir où des actions pédagogiques, déclenche les processus d’apprentissage. Le pouvoir de la construction des savoirs comme des connaissances appartient à l’environnement, au groupe (enfants, professionnels et parents) et à l’enfant. L’activité respecte les objectifs de l’enfant ou du groupe au fur et à mesure que celui-ci existe, quels que soient ces objectifs qui ne sont jamais ceux de l’institution. Celle-ci accepte que la finalité de l’école est bien de permettre la construction des personnes, des langages, des citoyens. La conception de l’école devient radicalement différente. »
Bernard Collot Décembre 1992
Le choix de l’école du 3e type n’est pas anodin. Il réclame de la part de tous les adultes qui participent à cette aventure un “sang-froid”, une “patience” et une remise en question de ses certitudes ou de ses désirs personnels.
C’est ainsi que parfois, ici, on peut avoir la fausse impression que les enfants ne sont pas assez “stimulés” dans leurs apprentissages. Ne comptez pas sur un rythme d’activités soutenu ou l’enfant est “occupé” sans cesse. Certains dessineront, d’autres joueront, d’autres se disputerons, d’autres s’abandonneront à la rêverie ou élaboreront des complots, bref aucun résultat préconçu n’est attendu. Un papa (plasticien) avait fait part à une éducatrice de son désarroi devant le fait que son enfant ne dessinait plus depuis quelques semaines. Il n’avait pas remarqué que l’abandon (provisoire) de ce langage se faisait à la faveur d’autres langages (l’élaboration de nouveaux jeux, le développement de son habileté physique, sa communication verbale).
Cette attitude impose aussi de faire le choix de l’imprévu.
Par définition, l’imprévu ne peut se prévoir. Cette lapalissade veut dire que c’est dans une apparente “désorganisation” et dans une apparente “désinvolture” qu’ici les enfants créent et grandissent à leur rythme, choisissant à chaque instant ce qui leur est le plus utile.
Cela ne signifie pas que l’adulte reste passif, au contraire il s’oblige davantage à la plus grande vigilance. Il observe et aide (si nécessaire) mais, avant tout, il cherche constamment à enrichir le milieu, tout en se posant continuellement la question du bien fondé de ses interventions. Il reste aussi le garant du “savoir-vivre-ensemble”.
Le choix du multi-âge
Depuis sa création la MDE a toujours pratiqué le mélange des âges. Cette hétérogénéité provoque des interactions tant d’un point de vue affectif que du partage des savoirs.
Ici encore, il faut du sang froid. Il y aura toujours le plus petit et le plus grand. La question que se posent alors les parents est : « le milieu est-il assez douillet pour mon petit », «le milieu est-il assez riche pour mon grand » ?
Voici ce que Bernard Collot répond à ces inquiétudes : «Il ne faut d’abord pas oublier que l’interaction entre les enfants est réciproque et ne se situe pas tellement dans une fonction d’aide mais beaucoup plus dans une fonction de provocation. Par exemple les petits sont toujours très provocateurs pour les grands dans leur audace créatrice et inventive, dans leur puissance imaginative, dans leurs questionnements existentiels : ce sont toujours les petits qui ont lancé la classe dans les débats philosophiques, voire métaphysiques ! Mais c’est dans l’extension des espaces créés par les langages qu’il faut situer les grands : Lorsque l’enfant arrive à l’école, ses cercles d’évolution vont pouvoir s’agrandir à l’intérieur de la classe. Au fur et à mesure que ses langages vont évoluer et se complexifier, ils vont lui donner accès au passé, au futur et à l’extérieur; c’est d’ailleurs une des fonctions de l’écrit. Lorsqu’il atteint les limites de la classe, l’enfant qui devient alors “un grand” a alors à sa disposition l’extérieur : cet “extérieur” est constitué aussi bien par tout ce qui est autour de l’école, y compris les adultes, que par le réseau constitué par d’autres classes et d’autres adultes».
Le mercredi et pendant les vacances scolaires, la Maison des enfants accueille des enfants de 3 à 11 ans sur la base de ce choix. L’énergie, le dynamisme et la créativité qui en découlent nous conforte dans cette idée.
Le choix de la co-éducation
Nous citerons encore Bernard Collot : « En considérant que l’autonomie est la conséquence de la construction de tous les langages (corporels, oraux verbaux, plus tard écrits, mathématiques, scientifiques, etc…), que cette construction s’effectue de par l’interaction avec l’environnement des espaces dans lesquels vit l’enfant (les adultes, parents ou autres, en faisant évidemment partie), alors la co-éducation devient possible. Les uns et les autres peuvent saisir que si les espaces sont nécessairement et heureusement différents, c’est la même construction qui s’y déroule et s’y poursuit. Les pouvoirs (puissance d’agir) de chaque responsable de ces espaces ne s’opposent plus mais se complètent, peuvent être mis en synergie. Pour co-éduquer, il s’agit de mettre derrière le terme “éduquer” le même contenu.
Parents, professionnels, peuvent alors successivement, simultanément, ensemble, “éduquer” le même enfant. Les pouvoirs que l’on peut accepter des uns et des autres, discuter et partager dans une intersection s’exercent alors beaucoup plus sur l’espace de vie lui-même (organisation, permissivité des relations, des interactions avec le milieu, agencements, règles de vie, continuité des deux espaces, etc.). L’acte éducatif direct vers l’enfant peut par contre faire l’objet de discussions et d’échanges. Par exemple des discussions reviennent fréquemment à propos de ce que les éducateurs laissent faire (peur du parent) ou ne laissent pas faire à l’enfant, sur leur façon d’intervenir dans un conflit, sur les principes de la punition ou de la non-punition, etc. Il s’agit alors d’échanges sur la façon d’exercer un pouvoir et sur ses raisons. On sort des convictions. »
Le choix d’une pédagogie novatrice
La pédagogie de la Maison des Enfants s’inspire des travaux de différents praticiens-chercheurs.
Elle repose sur l’accompagnement des enfants vers l’autonomie et la découverte de leurs propres langages.
L’organisation particulière des espaces, la réflexion qui est portée aux ressources et aux outils mis à la disposition des enfants et à l’articulation du temps ont pour objectif de créer un environnement facilitateur.
«C’est l’environnement dans sa complexité qui est à la fois le déclencheur de tous les apprentissages et va en induire chaque processus pour chaque individu. (…) L’essentiel est de favoriser le déclenchement des processus, de les aider à se prolonger le plus loin possible, et non de les conduire.», écrit Bernard Collot.
L’organisation des espaces
La Maison des Enfants compte deux niveaux, une cour et une grande prairie. Au rez-de-chaussée se trouvent une salle où les enfants peuvent s’adonner à de multiples occupations (dessin, peinture, modelage, perles…) ; de nombreux jeux de société sont accessibles pour les enfants de tout âge. La salle de jeux attenante permet aux enfants de lire dans les canapés, jouer de la musique ou jouer tout court (constructions, jeux imaginaires et symboliques faisant intervenir petits personnages, animaux, véhicules…, maison de poupées, dinette…).
Au premier étage, se trouvent une salle de classe, une cuisine, un bureau avec un espace informatique, et une bibliothèque.
Dans la cour pavée, les enfants ont accès à un atelier de bricolage, un bac à sable et un potager. Quelques vélos, rollers et jeux d’extérieurs sont à leur disposition. La prairie, espace public sur lequel donne la cour, est ouverte à la journée à la demande des enfants, en présence d’un adulte. Parfois, les membres du poney-club voisin viennent faire brouter leur cheval dans la prairie. C’est l’occasion pour les enfants d’aller à la rencontre du cavalier et de son animal, de le caresser, lui parler. Par ailleurs, les enfants peuvent parfois assister à des répétitions de danse ou de théâtre chez nos prestigieux voisins.
Les langages complexes
Il existe à La Maison des Enfants, dès la maternelle, de multiples possibilités d’entrer dans la lecture, l’écriture et les mathématiques : livres, revues, jeux, étiquettes mots, lectures d’histoires par les adultes ou par les plus grands, jeux de cartes, jeux de société etc…
Tout en utilisant la méthode naturelle et le tâtonnement expérimental, nous gardons le socle commun de connaissances et de compétences en ligne de mire. Pour Bernard Collot, «L’abandon du programme comme principe régulateur ne place pas l’enfant hors du système éducatif.»
L’entrée dans la lecture se fait naturellement pour la plupart des jeunes enfants qui, observant les plus grands lire, ont envie d’apprendre eux aussi à lire. À La Maison des Enfants, la lecture repose sur différents types de matériel : lettres mobiles, étiquettes-mots, jeux de lecture, livres adaptés selon l’évolution des enfants, journaux, divers écrits réalisés par les enfants eux-mêmes… L’apprentissage est progressif et se fait au rythme de chaque enfant. L’apprentissage de l’écriture se fait lui aussi progressivement. Souvent, les enfants écrivent car ils ont un but précis : écrire une carte d’anniversaire, un mot pour leurs parents, une histoire, une bande-dessinée, une pièce de théâtre… Les adultes sont présents pour les accompagner dans cette démarche, à leur demande, en proposant une aide directe ou des outils (dictionnaire par entrée phonologique par exemple). Lors de ces moments, toujours si l’enfant en fait la demande, nous l’aidons à corriger son texte et à percevoir les règles de grammaire, de conjugaison et d’orthographe. Nous ne préparons pas de leçon de grammaire, de vocabulaire ou d’orthographe. Nous nous adaptons au rythme de chaque enfant et suivons sur son cheminement propre.
Comme pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, nous partons des envies des enfants pour les aider à construire le langage mathématique : compter, calculer, mesurer, convertir, se repérer dans l’espace, manipuler du matériel géométrique…
Le calcul vivant, initié par Freinet, permet de partir de situations de vie variées pour entrer dans le champ mathématique.
Les créations mathématiques sont un autre moyen d’aborder les concepts mathématiques. Développées par Paul Le Bohec, elles permettent de travailler à partir des connaissances des enfants et de saisir les instants où ils sont disposés à prolonger leurs raisonnements au-delà de ce qu’ils se sont d’ores et déjà approprié.
Ici encore, pas de leçon magistrale de géométrie ou de numération mais une construction de concepts mathématiques partagée et accompagnée par les éducateurs, qui s’appuie sur l’environnement proche des enfants et sur du matériel pédagogique adapté.
Voici un exemple d’une situation en pleine nature qui a permis à quelques enfants d’aborder certains concepts mathématiques que sont la mesure et le calcul: Des enfants ramassaient des déchets dans la prairie. Une fois qu’ils avaient terminé, un enfant a eu envie de peser son sac. Direction la salle de classe où se trouve la balance de Roberval. L’enfant a découvert le matériel et pesé le sac de déchets, disposant les masses sur le second plateau. Il a fallu additionner ses masses pour déterminer combien pesait son sac de déchets. L’adulte était présent pour l’accompagner dans la découverte de la balance et son fonctionnement ainsi que pour l’aider à calculer le poids des déchets.
L’organisation du temps
Chaque matin, un module pédagogique est dispensé dans la salle de classe entre 9 heures et 11h20. Des activités sont proposées quotidiennement aux enfants de tout âge qui le souhaitent, afin de développer les langages complexes que sont notamment le langage écrit et les mathématiques. L’histoire, la géographie, les sciences ou les langues étrangères peuvent aussi y être proposées à la demande des enfants.
Ces activités peuvent prendre différentes formes : jeux pédagogiques, textes libres, créations mathématiques, tâches « académiques »…
À 11h30 a lieu la réunion quotidienne, durant laquelle l’appel est fait par un enfant de l’école, et les menus du déjeuner et du goûter sont présentés aux enfants. Puis les enfants peuvent s’exprimer pour rappeler une règle, proposer une sortie, présenter un livre qu’il a envie de partager avec les autres enfants… La réunion est menée par un enfant. Les adultes sont garants de son fonctionnement.